L'invité(e) du 7/9
La justice et les personnes handicapées
Podcast diffusé le 26/09/2017 à 01h00.
Les professionnels du droit sont confrontés au handicap, parfois sans l’identifier, et se heurtent à ses conséquences.
A. LA RENCONTRE
Les magistrats, greffiers et greffiers en chef sont confrontés à tous types de handicaps : tout citoyen peut être appelé à intervenir en audience. Certaines juridictions sont plus familières du handicap : le juge d’instance, le juge des libertés et de la détention, le tribunal du contentieux de l’incapacité et le tribunal des affaires de la sécurité sociale. Ces magistrats, interrogés, ont parfois le sentiment que leurs matières sont peu valorisées.
Pour les avocats, la spécialisation est déterminante : l’avocat généraliste rencontre davantage de clients en situation de handicap que le spécialiste du droit des affaires, ce qui est logique au regard des difficultés d’inclusion socioprofessionnelles du public handicapé.
On constate aussi que quelques avocats ont choisi de se consacrer à une clientèle handicapée, ce qui, selon eux, peut constituer une orientation tout à fait viable sur un plan économique. On relève, du côté du justiciable, une tendance à privilégier le choix d’avocats sensibilisés.
Les notaires et les conciliateurs de justice sont sollicités, pour leur part, par des publics dont le handicap est (relativement) bien compensé. En effet, le recours à ces professionnels marque une certaine connaissance de l’univers de la justice. Néanmoins, les notaires sont régulièrement sollicités par les proches de personnes concernées par des handicaps parfois lourds, soucieux d’organiser l’avenir.
Enfin, les huissiers de justice sont plus indirectement au contact avec le handicap, ce qui s’explique par le fait qu’ils n’ont pas l’obligation de remettre l’acte en mains propres. Un tiers s’interpose donc régulièrement dans la relation.
De leur côté, les personnes handicapées interrogées ont tendance pour une bonne partie d’entre elles à s’adresser aux travailleurs sociaux pour leurs questions juridiques. En effet, ces derniers leur sont familiers alors que l’univers juridique et judiciaire semble inaccessible tant matériellement (accessibilité, manque d’aménagements) que symboliquement (complexité de la justice ajoutée à la peur d’une incompréhension de leur situation).
B LA CONNAISSANCE DU HANDICAP
L’analyse des questionnaires et les entretiens nous apprennent que le handicap majoritairement rencontré par les professionnels du droit est le handicap mental ou psychique.
Une confusion règne sur la distinction entre ces deux handicaps. L’enquête montre en effet que tout comportement s’éloignant de la norme laisse penser, par une sorte de réflexe peu réfléchi, que l’intéressé est frappé d’un trouble mental ou psychique. Les deux termes sont ainsi utilisés comme des synonymes alors qu’ils recouvrent des réalités extrêmement différentes.
Ce sera par exemple le cas d’une personne qui répond à côté, ne regarde pas son interlocuteur ou le fait répéter, peine à s’exprimer ou à se diriger... Ces situations peuvent pourtant relever de la malentendance, malvoyance, d’un handicap moteur ou cognitif.
En parallèle, associations et personnes handicapées ont le sentiment que leur handicap est mal connu des professionnels et que tout comportement « différent » est interprété comme l’expression d’une déficience de leurs capacités intellectuelles. Ainsi, les difficultés de communication qui peuvent être liées à un problème d’audition, aux séquelles d’un accident vasculaire cérébral, à une infirmité motrice, un trouble Dys, etc., vont être assimilées à une défaillance dans la capacité à comprendre. Ces deux constats se font donc écho.
Les personnes handicapées intellectuelles déplorent, quant à elles, l’idée trop répandue selon laquelle elles ne sont pas en mesure de comprendre ou d’accéder à des connaissances complexes.
Enfin, les personnes concernées par le handicap psychique (schizophrénie, paranoïa...) ont le sentiment que leurs troubles ne sont connus que dans leur expression la plus extrême et la plus rare, directement inspirée des expressions cinématographiques.
L’approche du handicap est donc parasitée par des préjugés qui entravent sa connaissance et donc sa compréhension.
De fait, une minorité de professionnels disent avoir rencontré des personnes malentendantes, malvoyantes, Dys ou concernées par tous ces handicaps difficilement identifiables, mais dont les manifestations extérieures n’échappent pas à leurs interlocuteurs.
Enfin, les modes de compensation (outils et techniques) sont peu connus des professionnels du droit, comme du public en général. Ils ne sont par ailleurs pas toujours maîtrisés par les personnes handicapées elles-mêmes. D’une part, chacun trouve son mode de compensation (peu d’aveugles utilisent par exemple le
braille) ou le cherche : le handicap pouvant survenir à n’importe quel moment de l’existence, sa compensation est un défi permanent à relever pour l’intéressé. Ces outils et pratiques en évolution constante doivent être maîtrisés des deux interlocuteurs pour être efficients.
C. LE HANDICAP COMME OBSTACLE À L’ACCÈS AU DROIT
Le handicap va entraver la relation lorsque la représentation que s’en fait le professionnel prend le pas sur la réalité de la situation. Une fois la déficience identifiée, le professionnel doit connaître les réponses apportées par le droit, d’une part, et les outils et techniques mis à sa disposition pour la compensation.
1. Représentations du handicap
Tous les interlocuteurs, concernés ou sensibilisés, affirment que le handicap est un élément disqualifiant dans la rencontre avec les professionnels du droit. Les associations évoquent une « présomption d’incapacité ».
L’écoute et l’analyse des témoignages apportés par les professionnels du droit permettent d’identifier certaines causes à l’origine de cette interprétation. Un certain nombre d’éléments interviennent en effet de manière défavorable :
- tout d’abord, on ne peut faire l’impasse d’un contexte général. D’une part, le sujet du handicap doit dépasser les freins d’une image négative, véhiculée dans l’inconscient collectif. D’autre part, ce sujet s’impose aujourd’hui alors que les conditions de travail des professionnels de la justice sont toujours plus exigeantes et difficiles ;
– par ailleurs, les difficultés d’accès matériel non encore réglées ont des répercussions néfastes sur la relation (ainsi, un justiciable en fauteuil roulant ne trouvant pas de place de stationnement ni d’ascenseur ni de toilettes accessibles se présentera nécessairement tendu et excédé) ;
– enfin, les techniques de compensation qui pourraient être mises en œuvre par les professionnels du droit ne leur sont pas toujours connues. Il peut également arriver qu’ils ne sachent pas comment y avoir accès (exemple de l’interprète en langue des signes). S’ajoute à cela une difficulté à dire leur handicap pour les personnes concernées (question de l’acceptation) et à en expliquer les conséquences et les modes de compensation (connaissance et gestion de son propre handicap).
Ce contexte va créer un malaise qui très souvent entrave la communication entre professionnels et justiciables.
On citera un autre exemple : les associations dénoncent régulièrement des décisions concernant des enfants autistes, arguant que ce que les professionnels
du droit stigmatisent comme des conséquences de mauvais traitement (1) ou mauvaise éducation ne sont en fait que des manifestations de l’autisme. Une meilleure connaissance du handicap par les professionnels devrait améliorer sensiblement cette situation. Un travail pédagogique, diffusant une meilleure
connaissance du droit et du fonctionnement de la justice dans le secteur du handicap, serait complémentaire.
2.Méconnaissance des déficiences
Les situations de handicap sont multiples. Les pathologies et maladies influant sur les comportements et les relations ne peuvent évidemment pas être toutes connues dans leurs détails médicaux. Néanmoins, la connaissance des grandes catégories de handicap doit être acquise, cela tout particulièrement pour les situations les plus régulièrement sujettes à confusion et fantasme. Droit Pluriel constate en effet un écart sensible entre les représentations du handicap psychique formulées et les situations réelles rencontrées sur le terrain. En ce domaine, la demande des professionnels du droit est forte. Il sera donc opportun de transmettre des connaissances tant sur les différents types d’atteintes psychiques que sur les techniques d’entretien.
Certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer posent de réels problèmes aux juristes, car affectant la parole et le consentement. Un focus particulier serait donc opportun. Par ailleurs, certaines représentations erronées ont été largement entendues au cours de l’état des lieux : cela concerne notamment les personnes handicapées mentales, présupposées incapables de comprendre ou les personnes autistes dont peu de gens savent qu’elles peuvent ne présenter quasiment aucune manifestation extérieure visible. En dernier lieu, il est essentiel que les professionnels prennent la mesure du handicap invisible.
Une formation doit donc permettre de comprendre les conséquences possibles des déficiences.
3.Connaître les réponses apportées par le droit
Les services juridiques des associations du secteur du handicap témoignent également du manque d’information des professionnels du droit concernant les dispositions légales, spécifiques au handicap. Ces dispositions se retrouvent dans les principes du droit posés par les textes internationaux (Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées), dans le droit commun ou encore dans le « droit à la compensation ». Cette dernière matière, dont le contentieux touchant aux enfants est particulièrement important, est peu enseignée. Les justiciables auraient besoin d’interlocuteurs formés sur ces questions.
De leur côté, les professionnels du droit sont souvent confrontés à des situations de handicap complexes et déplorent n’avoir aucun référent vers qui se
tourner. Ils expriment leur solitude dans ces dossiers, où l’échange avec un interlocuteur éclairé pourrait être très utile, ou au moins, permettre la prise de décisions.
4. Méconnaissances des techniques et outils de compensation
Certaines pratiques de compensation, par exemple l’interprète en langue des signes, sont connues. Pour autant, un enseignement est nécessaire pour en comprendre les subtilités et contraintes.
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