Enquête

L'asile psychiatrique de Fort Boyard, caricature ou réalité ?

Depuis la première diffusion de Fort Boyard le 24 juin, "La cellule capitonnée" fait polémique
Depuis la première diffusion de Fort Boyard le 24 juin, "La cellule capitonnée" fait polémique

L’émission Fort Boyard, diffusée sur France 2 cet été, a créé la polémique. En proposant un jeu qui consiste à se faire enfermer dans une cellule capitonnée, le programme véhicule une image de la psychiatrie qui peut sembler négative et éloignée de la réalité du terrain.

Retour sur la controverse Fort Boyard. La décision de la programmation de l’émission de mettre sur pied un nouveau jeu avec pour décor, l’univers du soin en psychiatrie, fait bondir les différents acteurs de la prise en charge de ces troubles. Face à la polémique, la production qui avait appelé ce jeu « L’asile », l’a renommé « La cellule capitonnée ».

Une scénographie et des règles jugées dégradantes

Depuis le début de la nouvelle saison du jeu télévisé de France 2 le samedi 24 juin, une nouvelle épreuve fait polémique. Le principe ? Le candidat est enfermé dans une cellule capitonnée et doit en sortir le plus vite possible. Il est vêtu d’une camisole sur laquelle plusieurs boules sont attachées. Pour sortir de la pièce, il doit les introduire dans les espaces prévus à cet effet, sachant qu’il ne peut pas utiliser ses bras et que la cabine tourne régulièrement sur elle-même. Il est donc obligé de se rouler par terre pour attraper les boules avec sa bouche.

Rappelant l’univers de la psychiatrie, le décor de « La cellule capitonnée » pose aussi questions : les murs sont peints avec des graffitis tels que : « help » ou : « no future ». Ils ressemblent à des appels à l’aide d’anciens patients.

Devant cette séquence, la question de l’image du milieu psychiatrique se pose. Est-elle réaliste et surtout, qu’est-ce que la contention, qui reste tout de même une pratique méconnue du grand public ?

La contention, une pratique censée être exceptionnelle

En psychiatrie, l’isolement et la contention sont utilisés pour restreindre la liberté des patients en cas de besoin. Dans le premier cas, le patient est placé dans un espace clos, loin des autres patients ; dans le deuxième, le patient est en plus, immobilisé. Cette pratique n’est pas la norme : selon le Rapport de la Haute Autorité de Santé publié en février 2017, c’est une « mesure d’exception, limitée dans le temps, sur décision d’un psychiatre […] après concertation pluri professionnelle ».   C’est avant tout, un moyen de dernier recours d’empêcher le patient de faire mal ou de se faire mal, et non un moyen de soigner. Le patient est isolé mais suivi par le personnel médical avant et après la contention. Si celle-ci est prolongée, il reçoit des visites de médecins. Il n’est pas tenu dans l’ignorance : on lui a expliqué pourquoi il est là et quelles sont ces conditions de sortie. Le Docteur Cédric Grouchka, membre du Collège de la Haute Autorité de Santé, rappelle que la contention ne s’applique qu’aux patients qui sont hospitalisés sans consentement. La contention doit toujours être pratiquée dans un cadre adapté, en ne négligeant aucunement l’intimité et la dignité des patients. La contention doit également rester exceptionnelle et être très limitée dans le temps.

Néanmoins, le rapport de 2016 « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale » du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dépeint une réalité plus complexe. Le document des services d’Adeline Hazan pointe ainsi de nombreuses dérives. D’une part, la contention existe dans « la quasi-totalité des établissements » avec une fréquence « impossible à quantifier ». Mais surtout, le référentiel « n’empêche pas les dérives » : des protocoles sans lien avec les troubles du patient sont parfois appliqués, et la surveillance médicale est « approximative ». Un « désintérêt des professionnels » sur la question est évoqué, ce qui empêche les pratiques d’évoluer. Il manque, selon le rapport, des normes à suivre. En conclusion, une liste de recommandations est proposée, pour une meilleure traçabilité de l’isolement, davantage de suivi et une prise en compte de l’aspect préventif.

Face à la nébuleuse qui entoure la contention en France, il est difficile de trancher si oui ou non, Fort Boyard présente une image caricaturale de cette pratique. Ce qui dérange les associations de familles, patients et soignants, c’est surtout l’image dégradante véhiculée par la production sur les personnes hospitalisées.

La banalisation de la contention

Avec « La cellule capitonnée », Fort Boyard propose une image de la psychiatrie qui peut sembler  réductrice. La contention est une pratique complexe qui n’est pour l’instant, pas suffisamment encadrée, comme l’a souligné la Haute Autorité de Santé dans ses recommandations publiées en 2017. Avec ce jeu, le téléspectateur peut avoir l’impression qu’un enfermement en cellule capitonnée avec une camisole de force est la norme. Se pose donc le problème de l’image véhiculée. Alain Monnier, membre du Bureau du Conseil d’administration et référent des commissions départementales des soins psychiatriques à l’UNAFAM accuse la production de Fort Boyard de diffuser une image dégradante des patients qui pourrait même aller jusqu’à retarder des prises en charge dans le futur.

Ce qui choque également Alain Monnier, c’est le fait que cette séquence soit diffusée sur France 2, chaîne du service public : « Ce serait choquant partout, mais sur le service public on n’est pas seulement choqué, on est surpris. On attend vraiment autre chose du service public. » Marion Paoli, membre du Conseil d’administration de l’association de patients PromesseS, estime qu’il est également très grave de diffuser une séquence telle que celle-ci en laissant penser aux téléspectateurs qu’il s’agit de la norme, alors que l’urgence est de s’interroger sur les raisons qui poussent à pratiquer la contention.

La production de Fort Boyart banaliserait et déformerait  donc l’image de la contention. Avec ce jeu, à aucun moment le téléspectateur n’est poussé à s’interroger sur les raisons du placement  en contention.  Si cette mesure reste exceptionnelle, elle témoigne pourtant d’un manque de moyens du personnel soignant et surtout, d’un échec à désamorcer le processus d’escalade de la violence comme le souligne le Docteur Cédric Grouchka.

Compte tenu du flou qui entoure la pratique de la contention dans les services psychiatriques en France, il est très difficile d’affirmer si « La cellule capitonnée » de Fort Boyard est caricaturale ou non. En revanche, il est indéniable que cette séquence véhicule une image dégradante des personnes atteintes de troubles psychiques. En banalisant la contention, la production de Fort Boyard met le voile sur une question primordiale aussi bien pour les associations de familles, de patients ou de soignants : pourquoi en 2017, le personnel soignant n’a parfois d’autre solution que d’attacher des patients qui souffrent tellement, qu’ils en deviennent dangereux pour eux-mêmes et pour les autres ?