The Tribe
The tribe le premier film entièrement en langue des signes: entre Charlie Chaplin et Gus Van Sant
Le Film ukrainien "The tribe" sort en salle ce mercredi. Entièrement en langue des signes, ce film est une peinture violente de la jeunes de l'Est d'aujourd'hui. Vivre FM a rencontré le réalisateur et la comédienne qui joue le rôle principal. Interviews.
Le film The Tribe sort en salle ce mercredi 1er Octobre. Vivre FM a rencontré Myroslav Slaboshpytskiy le réalisateur et Yana Novikova qui joue le rôle principal.
Myroslav Slaboshpitskiy : " Je trouve que les mots nous poussent à mentir "
Le réalisateur de The Tribe revient pour nous sur la genèse de son film.
Vivre FM : Est-ce que ce film est la réalité ?
Myroslav Sloshpytskiy : Tous les événements du films, avec leurs conséquences ne se sont jamais produits dans la vraie vie. C’est une compilation de mon expérience au lycée, les témoignages de nombreux consultants qui viennent du monde des sourds et muets et de mon expérience de reporter en chroniques criminelles. Tous ces expériences ont été transformées en une histoire. Mais c’est vrai que tout ne concerne pas que les sourds et muets.
Le choix de tout faire en langue des signes, sans aucune parole ni musique, était-il évident ?
L’idée d’un film en langue des signes m’est venue depuis le début. L’histoire et les personnages sont arrivés après. J’ai étudié dans un lycée et en face de celle-ci se trouvait un internat spécialisé pour les sourds et muets. Durant toute mon enfance j’ai eu l’opportunité d’observer ces personnes communiquer. C’est absolument étonnant et je trouve cette langue très cinématographique.
On dirait aussi par moments les films muets du début du cinéma, parce que les comédiens, comme les premiers comédiens jouent un peu plus que les autres, ils surjouent.
On peut dire que mon film est un hommage au cinéma muet. Si mes personnages parlaient ce serait trop vaudeville, trop hyperbolique et grotesque. Le charme vient de ce que les acteurs sont de véritables sourds et muets, ils n’ont pas appris leur texte et n’interprètent pas, ils parlent leur langue natale. C’est très organique et naturel, je trouve que les mots nous poussent à mentir, à cacher nos vraies émotions, nos intentions et nos sentiments. J’ai réussi à faire un cinéma très spécial, je voulais laisser un homme sans les peaux. Je trouve ce travail fantastique et pour moi c'est unique.
Est-ce que c’est un film politique ?
Tous les bons films sont plus ou moins politiques. Il faut dire que je n'ai pas tourné une métaphore mais une histoire. C'est dôle mais je crois que mon nom et celui du film sont déjà dans les livres de l'histoire du cinéma ukrainien. On dit souvent que les expressionnistes allemands sentaient déjà quelque chose dans l'air, ils ont senti Hitler et le chaos en Europe. Moi, je ne suis pas rationnel dans mes intentions, je suis mes intuitions. J'ai juste senti quelque chose dans l'air en Ukraine, en 2011 lors de l'écriture du scénario. Nous avons tourné le film pendant les événements de la place Maidan.
The Tribe est sorti en Ukraine le 11 septembre, mais dans ce pays ce n'est pas comme en France où le cinéma est une sorte de religion. La presse ukrainienne a écrit que The Tribe est un film unique, une première depuis l'indépendance du pays. Le 9 septembre, un scandale a éclaté, le comité ukrainien des Oscars n'a pas sélectionné le film. Cela relève de la corruption, un polémique a éclaté sur Facebook entre fans et adversaires du film. Les supporteurs de The Tribe se sont fédérés pour le soutenir en ligne.
On a l'impression que cette jeunesse n'a pas de repères, il y a pas d'adultes ou très peu dans ce film.
Les journalistes me posent souvent cette question. L'absence d'adultes est un facteur très important dans le film. On dit qu'il faut des adultes pour veiller et expliquer. Peut-être que cette absence est immorale, les Français connaissent bien ce problème.
Il faut dire que quand j'étais adolescent, les adultes n'occupaient pas une grande place dans ma vie et c'est vrai pour tous les ados, les parents, les enseignants ne comptent pas, ce sont les " idiots " face à l'ado qui est plus intelligents et plus puissant. On trouve des adultes dans le film, mais ils sont calculateurs, ils ne jouent pas un rôle de premier plan, cela correspond davantage à la réalité. Et bien sûr mes personnages forment des tribus, personne ne sait rien d’eux. C’est pour cette raison que les journalistes évoquent une allusion au roman de William Golding Sa Majesté des mouches.
Propos traduits de l'ukrainien par Anna Koriagina
Yana Novikova : " les personnes sourdes ont une sensibilité très particulière ".
Comment est-ce que vous êtes arrivée dans ce film ?
J’ai été scolarisée à Homiel (au sud-est de la Biélorussie) et je ne voulais pas continuer mes études. Un ami m’a informée d’une sélection qui se déroulait dans une école d’art dramatique où l’on travaille plusieurs disciplines. J’avais envie d’investir ce milieu. J’y suis allée, à Kiev, j’aurais pu être sélectionnée mais étant de nationalité biélorusse cela n’a pas pu se faire. Miroslav, le réalisateur du film était présent, il m’a proposé de participer à son casting. J’ai accepté, je suis retourné à Kiev pour le casting. Miroslav m’a posé plusieurs questions, il m’a demandé de jouer un peu. Il y avait de nombreux candidats, des sourds, de Russie et d’Ukraine. Nous avons reçu les résultats peu après par mail. J’ai du attendre pas mal de temps avec la peur au ventre pour savoir si j’étais sélectionnée. Finalement, quand j’ai vu les résultats, mon nom était sur la liste, j’ai donc sauté de joie. On m’a demandé de revenir à Kiev pour tourner des essais, je devais jouer dans de courtes scènes pour voir si je correspondais. Et j’ai été sélectionnée pour The Tribe.
A ce moment-là vous saviez de quoi parlait le film ?
Non, je ne connaissais pas le contenu, je n’avais pas lu le scénario. Je savais qu’il y avait deux rôles de prostituées, que cela se passait dans une école avec une histoire d’amour et de bagarres entre élèves. Mais je n’avais pas idée du contenu détaillé du film. Miroslav nous donnait le scénario et la matière au fur et à mesure. Donc je découvrais tout d’un coup la scène qui m’était demandée avec une grande surprise et parfois le tournage était difficile. Miroslav était quelquefois inquiet de mes réticences et de mes difficultés, mais ne voulait pas nous livrer tout dès le départ.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours en Biélorussie ?
Quand j’étais petite je n’étais pas scolarisée. Il y avait des écoles pour les entendants, mais comme j’étais sourde ma mère a voulu que je reste à la maison. Elle m’a scolarisé. Je travaillais le dessin et elle m’apprenait à écrire. C’est à partir de six ans que j’ai été scolarisée dans un internat pour les élèves sourds. J’ai continué à travailler les arts graphiques, un peu de comédie et beaucoup de sport. J’envisageais déjà à cette époque d'être comédienne et et peut être de jouer dans un film. J’en étais curieuse et je posais des questions autour de moi. On me répondait souvent « Mais ça c’est pour les entendants tu sais, moi je n’ai jamais vu de comédienne sourde ». Le cinéma était ma passion mais je la gardais de côté sans trop savoir. J’ai ensuite été scolarisée à Homiel, où j’ai continué à m’investir dans le sport et la pantomime. On me disais que je travaillais bien. J’ai aussi fait tout cela pour les sélections de l’école dramatique de Kiev. On m’a dit que les personnes sourdes ont une expressivité très particulière du fait de la langue des signes, je n’en avais pas du tout conscience, j’ai grandi en apprenant à communiquer avec des sourds de cette manière. C’est par la suite qu’on m’a appris que j’avais une expressivité du visage et du corps. Je n’avais pas particulièrement travaillé cette expressivité dès le départ avec la langue des signes.
Ce qui se passe dans ce film est-il possible en Ukraine ou chez vous en Biélorussie ?
Dans l’école où j’étais, j’ai vu des choses et reçu des témoignages. Par exemple les plus jeunes qui étaient harcelés par les grands la nuit, ou qui recevaient des ordres, comme dans The Tribe quand on les voit entrer dans les chambres. Après, chaque pays a sa culture et chacun fait ses choix mais les bagarres qu’on voit dans The Tribe, elles existent pour de vrai dans certaines écoles avec des élèves mis à l’écart ou qui passent des épreuves pour entrer dans le groupe. Les mêmes choses existent dans le monde des entendants et celui des sourds. Il y a 50% de fiction dans le film et 50% inspiré de faits réels. Miroslav avait lui aussi vécu la même chse avec l’école de sourds située en face de la sienne. Il s’est inspiré de ce qu’il a vécu et vu. Les dialoguent relèvent de la fiction, mais les événements, le rackets et les bagarres... ce sont des choses qui existent.
Ce qui se passe dans cet établissement est-il une image de l’Ukraine, de la Russie ou de la Biélorussie ?
Il y a en effet des gens qui peuvent être plus forts, qui prennent le pouvoir, qui profitent des plus faibles et qui sont des meneurs. Ensuite, tout un système se met en place où ceux qui suivent se mettent au service du meneur ave un effet de groupe.
Comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
J'ai envie d'être comédienne, de continuer cette carrière mais également de me retrouver derrière la caméra. J'ai déjà écrit un scénario de court métrage, également en langue des signes que j'espère pouvoir réaliser. J'ai aussi le projet de travailler dans d'autres films. Avec un réalisateur.arménien nous projetons un films autour des contes de fées dans lequel je jouerais un personnage de princesse ou de fée. J'ai rencontré beaucoup de personnes, vous savez, depuis les prix reçus par The Tribe au festival de Cannes et j'espère que toutes les propositions qui m'ont été faîtes vont se concrétiser. J'espère trouver le temps pour organiser mon planning pour les projets les plus intéressants.
Est-ce que vous avez rencontré Emmanuelle Laborit, comédienne française sourde ? Est-ce que vous avez été voir son théâtre ?
Je l'ai rencontrée hier. Elle est en effet célèbre en France et elle a vu The Tribe qu’elle a beaucoup aimé. Elle a beaucoup plus d’expérience que moi vous savez. Cela fait plusieurs années qu’elle travaille comme comédienne, moi c’est ma première expérience. Je ne connaisssait pas Emmanuelle avant de venir en France. Elle a obtenu un Molière. Elle a vu le film et elle a voulu me soutenir dans cette expérience. J’aimerais bien maintenant découvrir les films dans lesquels elle a joué.
Propos traduits de l'ukrainien par Fanny Mace
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