Reportage
« Blessures d'après guerre » : l'édifiant reportage
Cette réalité-là est trop souvent passée sous silence. A l'heure où l'armée organise un colloque interne aux Invalides sur les « blessures invisibles », le quotidien Le Monde publie une enquête spéciale sur les troubles psychiques qui frappent les militaires de retour d'une zone de combat.
A travers une série de témoignages poignants, Le Monde relaie le combat de ces familles déchirées par la souffrance, qui demandent la reconnaissance du préjudice de guerre. Parce qu'il y a pire que de rentrer physiquement blessé d'une opération extérieure : en revenir mentalement troublé. « Tu passes du statut de blessé à celui de fou » résume Marie * , la femme d'un soldat.
« Mon fils en morceaux »
La journaliste Nathalie Guibert a rencontré ces soldats de retour d'Afghanistan et leurs proches. Certains montent la garde toute la nuit à attendre un ennemi imaginaire, ou se mettent à pleurer quand ils croient entendre le bruit des balles siffler à leurs oreilles. Il y a ceux qui sont brisés pour toujours : ils reviennent schizophrènes, victimes d'hallucinations, comme ce jeune homme de 27 ans, Pierre, qui saccage régulièrement son appartement au cours de ses crises. D'autres sont dangereux pour les autres : ils agressent des clients au supermarché, brutalisent leurs enfants.
La plupart sont hantés par des cauchemars. « On rêve qu'on se pend du mât du régiment » raconte Grégory, grand gaillard de 30 ans aux yeux bleus, qui n'arrive plus à se raser depuis qu'il a quitté Kaboul. Alors parfois, la douleur, la honte et la colère sont trop insupportables et l'on tente de mettre fin à ses souffrances, définitivement. Bertrand, 38 ans, est tombé dans le coma après sa deuxième tentative. « Quand cela vous arrive, vous êtes tellement anéanti que vous ne pensez qu'à sauver ce qu'il reste, évoque sa mère, Josyane. Mon fils en morceaux ! On n'a pas le temps d'en vouloir à quelqu'un : on est anéanti pour des mois, des années ».
« Il n'y a rien plus rien d'humain. Tout devient froid et glacial »
Au delà de ces histoires bouleversantes, il y a pire : l'impression persistante que l'armée a laissé ses hommes s'enfoncer dans la boue, sans les aider à s'en extirper. « On a le sentiment d'être devenu un boulet, comme s'il fallait nous cacher », déplore un militaire. Faillir, c'est s'exclure ; dire, c'est trahir, écrit la journaliste. Les contentieux sont nombreux, face aux assurances militaires ou au tribunal des pensions. Le silence règne souvent sur le sort des ces grands blessés psychiques de guerre : « L'armée n'assume pas ses fragiles. Il n'y a rien plus rien d'humain. Tout devient froid et glacial ».
L'armée tente aujourd'hui de se mobiliser sur ces questions, comme avec ce premier colloque aux Invalides qui se tient aujourd'hui et demain. Il y a urgence : la France retire ses troupes d'Afghanistan après y avoir envoyé au total 60.000 soldats depuis 2001. Comme le souligne le Monde , la prise en compte de milliers d'anciens combattants et de leurs familles s'annonce comme un redoutable défi social et humain pour les années à venir.
* Tous les prénoms ont été changés par le journal, pour garder l'anonymat des sources
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