Simplification
Adrien Taquet chargé d'une mission sur la simplification administrative
Vincent Lochmann Adrien Taquet, vous êtes député La République En Marche (LREM). Le premier ministre vous a confié une mission, le 15 novembre dernier, pour la simplification administrative pour les personnes handicapées.
Comment allez-vous aborder cette question ? Qu’est-ce qui fait que cela va fonctionner ?
Adrien Taquet En effet, ce n’est pas une simplification de plus. Depuis 2005, on nous promet la simplification, certaines mesures n’ont d’ailleurs pas été mises en œuvre, notamment sous le quinquennat Hollande. Nous pensons que c’est une vraie transformation. Et cette lettre de mission s’inscrit dans un cadre plus large, un double cadre : c’est d’abord un vrai levier pour aller vers une société inclusive. Pour nous, ce n’est pas un projet de simplification mais une question d’égalité. Il s’agit d’une question à la fois de confiance, donc de transparence, et d’égalité.
"Les disparités territoriales sont inacceptables"
Il y a, aujourd’hui, des inégalités entre les personnes handicapées et le tout un chacun. Il y a également des inégalités territoriales puisque, vous le savez, une grande partie de ces sujets-là sont traités au niveau des départements et, pour différentes raisons, il y a de grandes disparités territoriales. Cela est inacceptable dans notre pays aujourd’hui.
Si vous me le permettez, je souhaiterais faire rapidement la genèse de cette mission. Elle s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large qui est de restaurer la relation entre l’Etat et ses usagers. Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait porté une grande promesse : celle du droit à l’erreur. Il s’agissait d’une vraie révolution copernicienne entre l’Etat et ses usagers.
L’Etat, en France, s’est un peu construit dans une relation de défiance vis-à-vis de ses usagers : nous serions tous un peu des fraudeurs en puissance. L’idée est donc qu’il y a une présomption de bonne foi de la part des usagers. J’ai participé à ce projet durant l’été avec Gérald Darmanin et d’autres députés. Nous avons donc travaillé aux grands principes, et deux champs étaient alors considérés comme prioritaires : les TPE-PME et l’agriculture. C’est à mon initiative qu’a été ajouté le sujet du handicap car cela méritait que l’on y accorde une place particulière. Chemin faisant, ce sujet-là est remonté jusqu’au Premier Ministre Edouard Philippe, qui a considéré que c’était un vrai sujet méritant une mission spécifique dans la perspective de la Conférence nationale du handicap, qui aura lieu en juin 2018 et qui sera portée par le Président de la République. On m’a donc confié cette mission qui s’inscrit dans une restauration de la relation de confiance entre les usagers et l’administration.
VL Il va donc falloir agir vite ?
AT Oui, en effet. Nous avons jusqu’à fin avril pour avancer.
VL Prenons un exemple : s’agissant de la confiance, les maisons départementales des personnes handicapées demandent aux personnes qui sont toujours aveugles de prouver qu’elles sont aveugles, à des adultes autistes qu’ils sont autistes. Cela signifie donc qu’il ne sera plus nécessaire de justifier par différentes démarches que la jambe dont on est amputée n’a pas repoussé ?
« Je souhaite partir du besoin des gens »
AT Je ne vais pas vous annoncer tout de suite ce que l’on fera car je souhaite que cette mission soit novatrice sur la méthode. Il est nécessaire, en effet, de partir du besoin des usagers. En ce qui me concerne, je ne suis pas en situation de handicap ni expert en la matière. Je souhaite seulement partir du besoin des gens et, pour cela, il faut mobiliser un certain nombre de méthodes innovantes. Une immersion sera lancée et l’on fera appel à l’intelligence collective. Chez En Marche, nous nous inscrivons dans ce type de démarche. Et je ne souhaite pas faire de réforme en chambre.
VL Si je peux vous proposer un élément de méthode, prenez une demi-journée et remplissez un formulaire de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), faites tout le parcours du médecin jusqu’aux feuilles annexes…
AT Je l’ai déjà fait et, effectivement, l’immersion est l’une des méthodes qui sera proposée.
VL Le problème est qu’aujourd’hui les MDPH sont gérés par les départements. Chaque département travaille seul de son côté et, semble-t-il, il y a une grande difficulté pour avoir des systèmes informatiques efficaces et uniformisés, pour éviter tout problème lorsqu’une personne handicapée souhaite déménager par exemple.
AT Les systèmes informatiques ne sont pas du tout uniformisés pour l’instant, c’est certain.
Cette lettre de mission couvre trois champs. D’une part, les « formalités administratives », c’est-à-dire les formulaires et tout ce qui a trait aux démarches en ligne et l’on sait que, bien que la dématérialisation soit quelque chose de très bien, cela peut générer des discriminations à l’égard des personnes en situation de handicap. Ensuite, les « complexités normatives », à savoir prouver par exemple que son enfant est autiste. Enfin, ce que la lettre de mission dénomme comme l’« accompagnement des enfants », c’est-à-dire les modalités selon lesquelles les différents pouvoirs publics, organismes publics sur le territoire notamment, travaillent entre eux : MDPH, la région pour tout ce qui est de l’ordre de l’enseignement, la Caisse nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), les Agences régionales de santé (ARS) dans les régions, les Centres Ressource autistique (CRA) pour l’autisme, les centres experts, etc. Bref, beaucoup d’acteurs publics et des problèmes de coordination et de répartition de compétences.
Mais je souhaiterais faire un point sur les MDPH. Je pense qu’il faut de la simplification en déterminant des référents, des interlocuteurs uniques, et la modernisation de l’Etat est un maître-mot en la matière. Les MDPH sont censés être des interlocuteurs uniques. Or il faut tout de même allouer des moyens dans toutes les mesures de ce type-là et faire en sorte que les centres ne soient pas embolisés. Je ne souhaite stigmatiser quiconque…
VL Disposez-vous de moyens financiers pour réaliser cela ?
AT Les discussions sont en cours.
VL Adrien Taquet, vous avez proposé il y a quelques jours que l’on déménage l’Assemblée Nationale de Paris à Marseille, car les locaux n’étaient pas suffisamment adaptés, trop anciens, trop archaïques. Est-ce ce genre de méthodes que vous allez imaginer pour la simplification administrative des personnes handicapées ?
AT Je pense qu’il faut raser les cadres. Non pas les cadres architecturaux, mais nos cadres de pensée : c’est cela que j’ai appris auprès d’Emmanuel Macron. Que ce soit pour la simplification administrative, les conditions de travail à l’Assemblée Nationale, se demander si c’est un lieu adapté au mode contemporain…
VL Vous venez du monde de la publicité, est-ce que cela ne fait pas partie d’un coup de com’ ?
AT Je ne viens pas du monde de la publicité mais du monde de l’entreprise. Ce qui n’est pas l’alpha et l’oméga. Je pose simplement les conditions de l’adéquation d’un lieu de travail avec des façons contemporaines collaboratives…
VL Avez-vous sincèrement cru à cette proposition ?
AT Ecoutez, j’explique seulement à tous nos concitoyens et aux entreprises que dans cinq ans 50% des emplois actuels auront disparu. Notre pays vit une vraie rupture technologique et il faudrait qu’à l’Assemblée Nationale nous soyons totalement en-dehors de cette réflexion-là ? Je pose juste les questions et j’invite à ce que nous nous projetions.
C’est la même en chose en ce qui concerne le handicap : en tant que responsable public, nous ne sommes pas là pour réfléchir aux deux ou trois prochaines années, mais aux dix, aux quinze prochaines années.
"Des normes absolutistes"
VL Cela fait bientôt quinze ans que les établissements français doivent être accessibles. Or il y a encore des administrations qui ne le sont pas. Vous avez, dans votre lettre de mission, l’objectif d’une simplification des normes, allez-vous simplifier les normes autour de l’accessibilité des bâtiments, et notamment des bâtiments publics ?
AT C’est inacceptable effectivement qu’un certain nombre de bâtiments publics ne soient pas accessibles aux personnes handicapées. C’est dans notre mission de se poser sur le sujet : qu’il s’agisse du numérique, du logement, de l’accessibilité aux bâtiments publics, il faut veiller à ce que les normes ne créent pas non plus de nouvelles barrières et d’autres discriminations. Aujourd’hui, certaines normes sont un peu absolutistes, et si elles empêchent de déverrouiller le système, il faut nous poser la question.
La semaine dernière, lors de la Semaine européenne des personnes handicapées, j’ai visité un certain nombre d’entreprises, dont notamment RTE qui passe des conventions dans le domaine du handicap et qui est assez exemplaire en la matière. Je me suis également rendu dans des TPE-PME, comme par exemple un cabinet d’architectes, dont la fondatrice et la patronne était en fauteuil roulant. Cette dernière m’expliquait que beaucoup de normes n’étaient pas adaptées à sa situation et que nombre d’entre elles pouvaient être assouplies et que cela ne l’empêcherait pas d’être dans une situation normale.
VL Aujourd’hui il reste en France des mairies, des agences Pôle Emploi, des hôpitaux, un certain nombre de bâtiments publics qui ne sont pas accessibles. Votre philosophie vise-t-elle donc à simplifier les normes pour rendre les bâtiments accessibles, ou à adopter des mesures peut-être plus contraignantes vis-à-vis des établissements qui reçoivent du public ?
AT J’ai parlé d’égalité. Je souhaite une égalité réelle et faire en sorte que ces bâtiments soient réellement accessibles au plus grand nombre. Repenchons-nous donc sur le sujet pour faire en sorte qu’il soit réellement accessible.
S’il y a des normes aujourd’hui trop absolutistes, il faut les changer. Il y a une philosophie globale dans ce pays qui consiste à vouloir tout mettre dans la loi, à prévoir tous les détails des choses. Je considère qu’il faut réfléchir maintenant en termes d’objectifs, et à chacun de mettre en œuvre les moyens pour atteindre ces objectifs. Si les objectifs ne sont pas atteints, il faudra sanctionner. Arrêtons d’essayer de prendre en considération tous les cas de figures particuliers car cela bloque le plus grand nombre. C’est la philosophie que je veux adopter.
VL La semaine dernière se déroulait la Semaine pour l’Emploi des personnes handicapées. Sophie Cluzel, la Secrétaire d’Etat en charge des questions de handicaps, a dit qu’il ne fallait pas être seulement dans la coercition mais qu’il fallait également être dans une vision positive : est-ce à dire que sur cette question-là, vous pensez aussi qu’il faut simplifier dans les entreprises ?
« Il faut embarquer les chefs d’entreprise avec nous »
AT Pour l’emploi, je pense que la question n’est pas la simplification. Sophie Cluzel a dit qu’il y avait eu des mesures coercitives, notamment l’obligation d’employer 6% de personnes handicapées, mesure qui a eu des effets. Pour autant, il semblerait qu’aujourd’hui nous atteignions un plafond de verre que l’on ne parvient pas à percer : nous sommes à 3,5 ou 3,9% dans l’administration.
Sur l’emploi, je crois que c’est une histoire d’état d’esprit. Il faut embarquer les chefs d’entreprise avec nous.
VL Faut-il revenir sur ces 6% ?
AT Je ne sais pas s’il faut y revenir. C’est globalement un projet de société. On parlait tout à l’heure de société inclusive, je viens en ce qui me concerne du monde de l’entreprise et l’important est de convaincre les chefs d’entreprise et, également, les salariés qui sont inquiets lorsqu’ils voient arriver des personnes en situation de handicaps. Il faut convaincre les chefs d’entreprise qu’avoir une personne en situation de handicap dans sa boîte, ce n’est pas un coût, ce n’est pas une contrainte, ni une histoire de bonne conscience pour avoir un bon rapport RSE à la fin de l’année, c’est un levier de performance. Avoir une personne handicapée, et je vous le dis en tant qu’ancien chef d’entreprise, cela peut être un levier de performance pour les entreprises. Il faut parler business. Par ailleurs, cela peut aussi être une amélioration du bien-être au travail pour l’ensemble des salariés. Car l’on sait très bien qu’avoir une personne handicapée permet de repenser l’espace, les modalités de travail, ou la collaboration, et cela est bénéfique pour tout le monde. C’est comme lorsqu’on a un enfant handicapé dans une classe maternelle, etc.
VL On va donc moins de coercitions, moins d’obligations ?
AT Une des mesures de simplification consiste à tout faire par internet, et à supprimer toutes les personnes au guichet. Or les personnes en situation de handicaps, mais aussi les personnes âgées, ou en grande exclusion, ont besoin, à un moment donné, de pouvoir parler à un être humain bien réel.
VL Comment fait-on pour que les moyens humains soient maintenus à disposition des gens qui en ont besoin ?
AT Je pense qu’il faut réfléchir en termes de parcours, et prendre en compte les spécifités de chacun. J’étais hier au Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) pour tout ce qui concernait les serveurs vocaux et quelqu’un a fait la même remarque. Je pense qu’il faut vraiment avoir une logique de parcours sur cette question-là et plus globalement. Cette question de simplification est en définitive une question d’allocation de moyens : l’idée n’est pas de faire avec moins, mais de faire mieux, en partant des besoins des usagers. Une fois encore, on va donc partir des besoins des gens, co-construire avec eux et définir les meilleurs parcours possibles pour eux, afin que cette égalité réelle, ce service public, soit effectivement rendu aux gens.
VL La loi de 2005 prévoit que les personnes handicapées élaborent un projet de vie. C’est quelque fois difficile d’élaborer un projet de vie quand on a un handicap mental, psychique…
AT C’est difficile en effet de le mettre noir sur blanc dans un dossier MDPH, et il faut qu’on accompagne les gens dans ce sens-là. Et le point que vous soulevez soulève une question plus large qui est celle de la société inclusive, et je pense que les projets de vie seront plus faciles quand on sera dans cet horizon-là. Il y a trop de silos aujourd’hui.
VL La méthode pour vous, maintenant, Adrien Taquet, quelle est-elle ? Quel est votre agenda ?
« Je remettrai mon rapport fin avril »
AT Cela a commencé hier, il y a deux jours. Fin avril, seront remis ma proposition et mon rapport, à temps, j’espère, pour une intégration éventuelle pour la conférence annuelle du handicap présidée par Emmanuel Macron et qui aura lieu en juin. D’ici là, mobilisation d’une part des ressources de l’Etat, qui sont mises à ma disposition par le Secrétariat général de la modernisation de l’action publique, l’IGAS ou peut-être l’Inspection générale de l’Education Nationale, car l’Education fait partie de l’accessibilité pour les personnes handicapées.
VL Le Secrétariat général de l’Action publique, c’est Bercy ; vous ne craignez pas la main mise de Bercy ?
AT Non, l’IGAS n’est pas à Bercy, ni l’Inspection générale de l’Education nationale. Mobilisation de l’ensemble de ces ressources –là mais surtout, une fois encore, des usagers. Je ne veux pas qu’on fasse les choses en chambre, je veux qu’on mobilise l’intelligence collective, qu’on parte des besoins, qu’on fasse de l’immersion, des visites surprises dans des MDHP ou autre, qu’on fasse des workshops. Pour ma part, je vais mobiliser probablement le mouvement En Marche ! et au-delà aussi sur les territoires, on a 400 000 adhérents sur la France, qui peuvent me faire remonter l’expérience sur le terrain. Il faut innover la méthode. Encore une fois, le maître-mot est de partir du besoin des gens. C’est du bon sens mais c’est comme cela qu’on va procéder.
VL Le Premier ministre vous demande de faire en particulier attention aux moins de 25 ans, pour les parents, pour les familles, est-ce que c’est plus difficile… ?
AT En effet, dans les parcours entre 0 et 25 ans, entre les passages dans l’Education nationale, et cette barrière fatidique à 20 ans, donc ce n’est pas exclusif mais on m’a demandé de me concentrer là-dessus. Je voulais simplement rajouter, je parlais d’ouverture sur la société civile, cette mission est co-présidée par Jean-François Serre, ancien directeur général des Petits frères des pauvres et qui est au Conseil économique social et environnemental.
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