Patrick Doutreligne

A la veille du congrès de l’UNIOPSS, son président Patrick Doutreligne fait part de son amertume face aux décisions du gouvernement.

Vincent Lochmann : Il y a deux ans, vous pointiez le risque d’une « dislocation sociale ». Quel regard portez-vous sur la situation sociale aujourd’hui ? Est-ce qu’on en est là ?

Patrick Doutreligne : En tout cas on en prend le chemin. C’est vrai qu’il y a deux ans lors de notre dernier congrès on avait bâti quelques scénarios différents et nous avions choisi le scénario du rebond, c’est à dire qu’à un an des présidentielles, on pensait être en capacité de dialoguer, de défendre un projet de société et de faire de la co-construction avec celui qui serait élu, son nouveau gouvernement et sa nouvelle majorité. On avait écarté un scénario qui était celui de la gestion uniquement. La gestion plus rigoureuse était, sans doute utile mais ne redonnait pas du sens et du souffle à l’action sociale vis à vis des plus modestes de nos concitoyens ou de ceux qui étaient le plus en difficulté. Il s’avère que, un an après les élections, le gouvernement est en train de nous pousser sur le seul scénario de la gestion : peu de dialogue, pas de co-construction et avec des coupes budgétaires qui sont un petit peu aveugles. Ces coupes aveugles, ce sont par exemple les personnes âgées qu’on fini par mettre dans la rue ce qui est assez incroyable. Autant pour les personnes âgées que pour les associations ou les services qui s’en s’occupent c’est quasiment une grande première, mais c’est aussi vrai pour les personnes handicapées. Pour la lutte contre l’exclusion, on attend. Ça fait déjà dix mois qu’on nous promet des mesures. Un plan gouvernemental devrait arriver en mai juin ; donc on va attendre de voir si ça part dans le bon sens, mais globalement, quand même, la vision sociétale qui nous est proposée, c’est une vision budgétaire. Les dépenses sociales pour le gouvernement sont trop importantes et on fait de la coupe sans avoir obligatoirement un dialogue ni des priorités, ni une vision sociétale qui sous-tendrait cette gestion.

  Patrick Doutreligne

V. Lochmann : Le gouvernement revendique le dialogue pourtant. Vous ne le voyez pas ce dialogue ?

P. Doutreligne : non, d’abord il avait très mal commencé. L’été dernier avait été pourri pas seulement à cause du temps, mais aussi à cause des décisions unilatérales qui visaient les plus modestes : baisses des APL, baisse des contrats aidés sans aucune concertation sans aucun dialogue, sans étude d’impact. En septembre il s’en est aperçu, il s’est dit il fallait rectifier le tir ; Il a multiplié les lieux de concertation, les objets de concertation. Ça nous a plutôt satisfait. On voit au bout de six mois, que ce n’est pas une vraie une vraie concertation. A la première réunion, le gouvernement nous réunit et dit : « bon voilà le constat est celui là les préconisations sont celles là, qu’est ce que vous en pensez ? » On fait un large tour de table du secteur associatif, avec des analyses critiques tantôt positives tantôt négatives, et puis à la deuxième réunion il dit voilà merci de votre contribution mais le projet qu’on défendra c’est le projet initial. C’est à dire que la concertation n’a absolument en rien modifié le projet du gouvernement.

V. Lochmann il y a un problème de confiance entre le gouvernement et les associations ?

P. Doutreligne :  Très clairement ! Le ministre de l’intérieur a réussi à braquer les associations de solidarité qui s’occupaient des défavorisés et plus particulièrement des migrants, le ministre du logement met en avant un projet qui nous intéresse (le logement pour tous), mais il n’y met pas les moyens et il prend des mesures à coté qui sont extrêmement difficiles, la ministre de la santé et de la solidarité s’occupe davantage des problèmes de santé que des problèmes de solidarité. On voit avec les personnes âgées qu’on est arrivé au point de rupture. Dans les EHPAD ou dans les services à domicile il n’y a toujours pas de réponses adéquates aux problématiques. Et les associations de personnes handicapées qui étaient au départ satisfaites d’avoir une secrétaire d’état spécialisée auprès du Premier Ministre sont en train de revenir de leur espérance parce que ce qui est proposé, là encore est sans vision globale. Seule l’augmentation de l’AAH qui a été prévue sur trois ans est un élément positif qui est à mettre au crédit du gouvernement sur ce secteur là.

(…)

V. Lochmann : vous êtes dans quel état d’esprit alors que s’ouvre le congrès de l’UNIOPSS ? Vous êtes amer ? Vous êtes en colère ?

P. Doutreligne : L’amertume, elle est là. La déception elle est là. La colère n’est pas loin. Elle est déjà en train de monter dans certains secteurs : personnes âgées, personnes handicapées, accueil des migrants, ces associations sont déjà en colère. Il reste tous les autres pans de l’aide à domicile de l’enfance où on est encore sur l’amertume mais si ça ne bouge pas, si ça ne change pas si de nouveau les pouvoirs publics n’ont qu’une vision comptable et budgétaire de l’action sociale, alors, oui bien sûr la phase d’après c’est la colère et à ce moment là le gouvernement va perdre beaucoup parce que le secteur associatif est extrêmement important et extrêmement influent en France avec son million de bénévoles et son quasi million de salariés. Tout le monde dit « c’est bien ce que vous faites pour les personnes âgées les personnes handicapées ». Si à un moment on nous empêche de travailler correctement la population va regretter ce choix.

V.Lochmann Les associations et l’UNIOPSS pourraient rejoindre le mouvement social ?

P. Doutreligne. Je ne pense pas. Parce que c’est trop tôt et parce qu’on ne sait pas faire grève. On ne sait pas laisser tomber des personnes handicapées, des enfants à l’abandon, les personnes âgées dans la solitude. Il faut viser autre chose. Si les associations ne se solidarisent pas face à l’action du gouvernement il va y avoir un apport de mécontentement de la société contre ce que fait le gouvernement. Donc ce n’est pas dans son intérêt de poursuivre dans cette voie.