Radio
A Moscou, une émission de radio par et pour les handicapés psychiques
Ils ont une liberté de parole totale. C’est ainsi que l’a voulu le psychiatre Arkadi Chmilovitch. Ils, ce sont les malades du très célèbre hôpital Alexeïev, autrement plus connu sous son ancien de Kachtchenko. Ne dit-on pas depuis dans le langage commun russe que Kachtchenko est un « cinglé » ? Ils sont tous schizophrènes, et la plupart d’entre eux vivent chez eux. Pour participer à l’émission d’une radio intitulée par traduction « Radio à travers le miroir », certains n’hésitent pas à faire une heure et demie de trajet.
L’émission « ne se limite pas du tout à la psychiatrie », explique à l’AFP Arkadi Chmilovitch, « on y parle d’amour, d’enfants, de vacances, d’homosexualité. On y parle de la vie telle qu’elle est », ajoute le psychiatre qui dirige les programmes de réinsertion et à qui revient l’initiative de la radio. L’émission qui dure une heure s’inspire de projets similaires ayant vu le jour en Espagne. Les règles ont été définies : « nous avons décidé que les médecins ne devaient pas y participer » afin de permettre aux patients de s’exprimer plus librement.
15h, le jingle retentit. C’est l’heure à laquelle débute l’émission dont le thème est, ce jour-là,« les limites de la sympathie et de la compassion ». Sous la houlette de la rédactrice en chef, Daria Blagova, journaliste de profession à l’extérieur de l’hôpital, l’émission en direct de l’hôpital se déroule sans heurts, de façon « dynamique », dira Mme Blagova. Elle et son mari Vitali ont rejoint l’émission pour aider les patients avec le matériel et la technique. Hors antenne, elle garde un contact avec les patients, notamment par téléphone ou via les réseaux sociaux.
Une bouée de sauvetage
Mikhaïl Larsov est l’un d’eux. Journaliste de radio également, il a été interné en psychiatrie à la suite de quoi il a été licencié par ses employeurs. « La radio m’a sauvé », concède-t-il. « J’ai pu continuer le journalisme, m’épanouir ». « Je suis arrivé [à la radio] alors que j’étais au plus bas. J’avais perdu mon travail et prenais beaucoup de médicaments » se souvient-il, avant de confier qu’il a alors fait une tentative de suicide.
Pour Nikolaï Voronovski, lui aussi patient à l’hôpital, l’émission a été une bouée de sauvetage. « Au lieu de perdre mon temps à déprimer, je fais quelque chose de productif et qui m’enrichit », affirme-t-il. « On peut partager des choses avec les autres, acquérir de l’expérience, apprendre des choses et socialiser », ajoute-t-il.
Les participants ont entre 20 et 50 ans, la plupart d’entre eux s’expriment avec éloquence, mais refusent de donner leur vrai nom à l’antenne.
Pudeur des malades
« Je ne raconte pas à tous mon histoire, même si aucun des amis à qui j’ai confié avoir une maladie mentale ne m’a rejeté », explique Mikhaïl Larsov.
« Soyons honnêtes : même nous, nous ne savons pas ce qui se passe à l’intérieur de nous, alors allez donc l’expliquer aux autres ! », plaisante le présentateur Danil. Journaliste également, celui-ci a travaillé dans deux grands journaux nationaux. Souvent explique-t-il, il a l’impression qu’un « mur opaque se dresse entre [lui] et le reste du monde ».
A l’époque de l’URSS
Sous l’URSS, l’hôpital Kachtchenko a accueilli de nombreux résidents, comme le mathématicien Alexandre Essenine-Volpine ou la poétesse Natalia Gorbanevskaïa, diagnostiqués malades mentaux par le pouvoir pour mieux les discréditer. Depuis l’hôpital moscovite Alexeiev est devenu « l’un des plus civilisés » assure Mikhaïl Larsov. Preuves en sont ces nombreuses activités proposées à ses patients dont cette émission de radio sponsorisée par un fonds caritatif russe.
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