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Interview Vivre FM : Le secrétaire général de l'OIT défend une mondialisation sociale

Guy Ryder, ancien leader syndical devenu patron d’une des plus grandes agences de l’ONU, veut impliquer les grandes entreprises d’échelle mondiale sur la question du handicap. A 60 ans, ce Britannique considère que la question sociale est l’enjeu majeur de la mondialisation et que l'Organisation Internationale du Travail a un rôle à jouer.

 

 Une charte vient d’être signée. Quel impact aura-t-elle sur le terrain concrètement ?

J’espère qu’elle pourra changer des choses !  Pour être clair, nous avons une charte sur les entreprises et les personnes handicapées, qui comprend des engagements concrets de la part des entreprises en la matière. Nous avons  maintenant une quinzaine d’entreprises qui ont signé la charte et avec cette signature  ils s’engagent à la promouvoir, à respecter en premier lieu, les droits des gens qui vivent avec un handicap, à mettre en œuvre des politiques qui faciliteront leur inclusion dans l’emploi.

Partout dans le monde ?

Nous avons une quinzaine d’entreprises, c’est vrai que la plupart sont européennes, beaucoup de français, mais nous travaillons pour élargir cet échantillon d’entreprises. Nous sommes en train de monter un réseau en Turquie. Nous avons des activités en Amérique Latine, au Brésil. Nos ambitions sont mondiales, mon organisation est mondiale, nos ambitions doivent être à ce niveau là.

 Que dites vous à ceux qui considèrent qu’il y a trop de normes, trop de standards, qu’on nous impose. On en entend beaucoup parler en ce moment. Que dites vous à ceux qui désespèrent des organisations internationales ?

Nous avons besoin des normes.

Mais il y a du « normes-bashing » en ce moment, tout le monde s’en prend à l’excès de normes.

Pas chez moi ! C’est vrai que ça existe et que ce n’est pas la multiplication des normes qui va résoudre tous les problèmes du monde. Mais nous avons besoin d’un cadre normatif pour faire avancer les choses. Ca a toujours été comme ça. Je comprends très bien qu’il y ait un grand débat en France sur le code du travail mais tout le monde est d’accord qu’il faut un code de travail ! Et surtout en matière d’emploi pour les personnes handicapées.

Sur le terrain les gens trouvent qu’il y a un décalage entre les grandes intentions exprimées par les politiques et les entreprises et ce qu’ils vivent sur le terrain. Comment peut-on sortir de cette situation ?

Les ambitions sont par définition en avance des réalités sinon ce ne sont pas des ambitions. Les réalités sont très souvent dures. Nous comprenons très bien que les taux de chômage des personnes handicapés sont parfois deux fois plus élevés que les autres. C’est le cas en France. Ca c’est une réalité. Nos ambitions sont bien évidemment d’apporter des amélioration, et là ce ne sont pas que des discours, ce ne sont pas que des textes jolis sur papiers. Il s’agit des actions concrètes et ce qui est important je pense en ce qui concerne ce réseau d’entreprises que nous sommes en train de construire c’est qu’il s’agit là d’entreprises qui s’engagent à prendre des mesures concrètes. Ce n’est pas du blablabla, ce sont des mesures concrètes, engagées par des entreprises qui ont décidé qu’elles vont faire quelque chose parce qu’elles ont une obligation morale de le faire mais aussi c’est du business. C’est du bon business. La diversité dans toutes ses dimensions est une chose positive pour le monde de l’économie.

 Vous allez regarder s’ils appliquent vraiment sur le terrain ce pour quoi ils se sont engagés aujourd’hui ?

Un des engagements de la charte qui a été signée aujourd’hui c’est de faire rapport sur les mesures qui ont été prises. Il y a un suivi de tout ça. Nous allons nous réunir en octobre à Genève. Donc ce n’est pas juste une journée où on part tout content, c’est quelque chose que nous prenons au sérieux.

 Ces grandes entreprises ont beaucoup de sous traitants partout dans le monde. On dit souvent qu’il y a un grand décalage entre les entreprises et leurs sous-traitants. Comment est-ce que l’OIT agit concrètement ?

C’est une très bonne question. Nous venons d’avoir un grand débat au niveau du BIT, notre conférence annuelle, justement sur la gouvernance des sous-traitants qui sont de plus en plus important dans le monde du travail. L’exemple de Carrefour est très intéressant. Ils ont volontairement fait des efforts au niveau de leurs sous-traitants en matière de l’emploi. Mais je pense qu’il y aussi un grand débat sur le devoir de vigilance sur la chaîne de valeur. Sur tous les niveaux. Nombre de travail, liberté de syndicats, travail forcé, travail des enfants. C’est une question qui est vraiment à l’ordre du jour  aujourd’hui, mais on avance là-dessus.

 On a l’impression qu’on avance oui, mais la crise est de plus en plus forte et qu’il y a de plus en  plus de tensions.

Le monde du travail est difficile. Nous avons des niveaux de chômage très élevés. Nous avons des inégalités qui sont flagrantes qui donnent des situations politiques que, moi comme Britannique je connais très bien, après le vote de la semaine dernière. Donc il faut faire des choses. Le monde du travail est loin d’être parfait, je ne dis pas que nous avons toutes les solutions mais les initiatives telles que celles que nous avons vu aujourd’hui vont dans le bon sens.

 Les personnes handicapées font partie de celles qui sont souvent dans la marge et qui s’interrogent : « Finalement, à quoi ça sert ? ». 

J’ai vécu le vote de jeudi dernier (en faveur du Brexit ndlr). Et c’était le fruit d’un ras-le-bol des personnes qui se sentent oubliées et ceci peut bien évidemment inclure les personnes handicapées. C’est le moment  de se réveiller et de mettre l’accent sur les questions sociales qui ont été trop négligées dans les politiques nationales, régionales, européennes, internationales. C’est le moment de réagir. Bon, le moment de réagir c’était hier. Mais le moment d’agir c’est aujourd’hui.

Vous dirigez l’organisation de l’ONU consacrée au travail mais dans le fond, est-ce que les questions sociales pèsent dans les organisations internationales ?

Evidemment ! Mon organisation fait partie du système multilatéral des nations unies. Nous sommes quand même l’agence chargée des questions sociales et les questions sociales sont vraiment au top de l’ordre du jour international ;  on parle même d’une nouvelle agence des nations unies pour le développement durable. Les questions sociales  sont là. Les questions d’emploi sont vraiment les plus importantes au niveau des prises de décisions politiques internationales. Nous sommes présents mais il faut donner des réponses adéquates.

 Vous êtes un Britannique qui ne désespère pas.

Jamais… sauf pour le foot ! (les anglais ont été éliminés de l’Euro 2016 ndlr).