Littérature
Jerôme Garcin rend hommage à Jacques Lusseyran dans son dernier ouvrage, "Le Voyant"
Animateur et producteur phare de "Le Masque et la Plume" sur France Inter, Jérôme Garcin publie "Le Voyant". Un récit biographique sur le destin extraordinaire de Jacques Lusseyran. Cet enseignant et écrivain français, aveugle, était une figure de la Résistance. Si la mémoire collective française l'a oublié, c'est un véritable héros aux États Unis.
Un devoir de mémoire, un exercice d'admiration sur un "contemporain capital", dont chaque parole et pensée a "valeur de témoignage lumineux"... Tels sont les termes évoqués par Jérôme Garcin au micro de Vivre FM pour évoquer son dernier ouvrage. Avec Le Voyant, plus qu'un hommage, c'est une quasi-réhabilitation que mène ce journaliste aux multiples casquettes (écrivain, patron du service culturel du Nouvel Observateur, animateur et producteur de "Le Masque et la Plume", ancien membre du comité de lecture de la Comédie Française). Il dépeint l'histoire de Jacques Lusseyran. Âgé de huit ans en mai 1932, ce dernier perd accidentellement l'usage de ses deux yeux. De ce drame jahit un privilège inespéré. Si il perd la vue, il développe un "regard" intérieur. Jérôme Garcin nous parle d'un "garçonnet d’une précocité morale, intellectuelle et spirituelle absolument stupéfiante". À 17 ans, alors que la France est occupée, le jeune Jacques est étudiant en khâgne à Louis le Grand. Il fait d'emblée le choix de la Résistance, à travers les Volontaires de la Liberté. C'est à ce moment qu'il met à profit sa cécité pour devenir un "recruteur hors pair", capable de distinguer à la voix et à l'odorat qui est susceptible de rejoindre ses rangs. "C'est quelqu'un qui non seulement a du courage, mais qui a la conviction que c'est grâce à sa cécité qu'il est devenu l'homme qu'il est devenu, et non pas à cause de.", dixit Jérôme Garcin.
En raison de son handicap et malgré ce parcours brillant, Jacques Lusseyran a été victime, pendant et après la guerre, d'une véritable mise au ban. En 1942, sous Vichy, alors qu'il sait qu'il veut devenir enseignant, un examinateur du concours de l'ENS l'empêche de passer les épreuves. Il s'appuie sur une lettre d'Abel Bonnard, ministre de l'éducation nationale, qui se prévalait d'une loi interdisant aux manchots et aux handicapés de se présenter à tous les concours de la fonction publique. En conséquence, Jacques Lusseyran entre à 100% dans la Résistance, et cette déception ajoute à son envie d'en découdre et de se battre. Puis en 1945, à 20 ans, il fait son retour à Paris, sans le moindre honneur, la moindre récompense, médaille ou pension. Les pouvoirs publics sont dans l'indifférence la plus totale, malgré son très jeune âge au sein de la résistance, son incarcération à Fresnes et sa déportation à Buchenwald. Pire encore, il souhaite repasser le concours de l'ENS, mais en est une fois de plus empêché. Effectivement, cette loi Bonnard était toujours en vigueur en 1945 et le restera 10 ans plus tard. Une nouvelle désillusion qui selon Jérôme Garcin explique son départ précipité pour les États Unis. L'auteur raconte : "Il se passe dans la vie de Lusseyran un moment de dépression. Car il a le sentiment d'avoir vécu quelque chose d'incroyable. En incarcération, en déportation, il n'était pas un handicapé. Et c'est dans le Paris libéré qu'on lui renvoie cette image du handicap, qu'il avait fini par totalement, non pas oublier, mais mettre de côté". Il continue en déplorant que "Dans ce pays qui aurait dû reprendre ses lois, en même temps que ses principes, on fait de lui quelqu'un qui non seulement n'est pas récompensé ni reconnu, mais qui en plus est empêché d'exercer le métier auquel il aspire. C'est quelque chose d'absolument sidérant, qui n'a jamais été raconté par les historiens, et je trouve ça assez choquant".
Jacques Lusseyran est devenu professeur de littérature française à Hawaï et est encore aujourd'hui considéré comme un héros dans son pays d'accueil. Son ouvrage Et la lumière fut y est sans cesse réédité, tandis que ces travaux sont inscrits dans les programmes scolaires américains et aussi allemands. Son effacement de la mémoire collective en France est tel qu'à son décès le 27 juillet 1971 dans un accident de la route à Saint-Géréon (Loire-Atlantique), Ouest-France écrit que "sont morts deux habitants de Hawaï", nous dit Jérôme Garcin.
Le 23 février, retrouvez Jérôme Garcin interviewé par Jean-Baptiste Bergès dans "Vivre FM C'est Vous".
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